Le traitement médiatique des violences entre supporters de football

Article rédigé par Lucas Bruns, Dalia Dahmani, Ramatoulaye Dia, Lea Tresson, avec le soutien pédagogique de Dario Compagno, dans le cadre d’un Module Innovant Pédagogique(MIP) organisé sous la forme d’un DataSprint par l’INA thèque et l’EUR ArTec, du 7 au 10 mars 2023. Cette édition de l’événément portait sur la thématique du Sport en anticipation des Jeux Olymiques 2024 à Paris.

Introduction

 Le sport a toujours été source de discorde du fait de la passion que cela engendre, en plus d’être directement lié à de nombreux événements historiques. Au fil de cet article, nous verrons quelle importance ce sujet occupe dans les médias et de quelle manière il est traité.

Si la rivalité fait partie intégrante de la pratique sportive, la violence quant à elle questionne le fonctionnement de cette instance qui se veut également éducative. L’UNESCO désigne le sport comme étant une activité pouvant « offrir un cadre universel pour l’apprentissage de valeurs, contribuant ainsi au développement des compétences personnelles nécessaires pour une citoyenneté responsable » et liste les valeurs qui lui sont attribuées comme suit : équité, travail d’équipe, égalité, discipline, inclusion, persévérance, respect. Ainsi, lorsque nous assemblons l’expression « violences sportives » un paradoxe apparaît. En effet, cette expression, aux antipodes des valeurs énumérées, soulève plusieurs questionnements : Qui sont les auteurs de ces violences ? À qui s’adressent-elles ? Comment se manifestent-elles ? Pourquoi s’expriment-elles peut-être davantage dans un cadre dont les valeurs prônent le respect et le fair-play ?

Nous avons pu en être témoins ces dernières décennies, les violences sportives prennent plusieurs formes. Il existe des violences entre sportifs, des violences contre l’arbitre, des violences sexuelles, des violences entre supporters, etc.

Pour cette analyse, compte tenu de notre corpus initial, nous avons choisi de nous concentrer sur les violences de masse, les violences entre supporters. Nous pouvons penser que ces événements qui se dérouent souvent lors de compétition et se caractérisent par leur côté spectaculaire, suscitent en effet plus d’intérêt et génèrent une surreprésentation médiatique. Nous nous demanderons dans quelles mesures les violences qui ont lieu pendant des représentations de football deviennent prétexte à des débats politiques et sociétaux dans les médias.

Méthodologie

Afin de rendre notre corpus exploitable, nous avons procédé à une réduction en sélectionnant des mots-clés uniquement relatifs à la violence dans les 13 292 notices initiales. En effet, dans le corpus dont nous disposions au départ, un des termes descripteurs qui avait été utilisé dans la requête était « supporter ». Nous avons ainsi décidé de préciser davantage notre corpus grâce à l’outil OpenRefine, un logiciel libre de nettoyage et de mise en forme de données, en basant notre requête sur la sélection des caractères suivants : « Violent » | « vandal » | « rival » | « rivaux » | « hooligan » | « casseur » | « mort » | « mour » | « incident » | « bless » | « drame » | « bagarre ». Nous avons appliqué un filtre textuel comportant tous ces termes avec l’opérateur booléen OU (le symbole « | ») à la colonne de notre jeu de données qui présentait les résumés des programmes.

Nous avons également limité notre corpus au football, puisqu’une partie largement majoritaire du corpus initial concernait uniquement cette discipline. Nous avons donc appliqué le filtre textuel « football » à la colonne des descripteurs.

La violence dans le sport peut concerner toutes les disciplines, des sports collectifs aux sports individuels. Cependant, dans le cadre de cette étude il semblait intéressant de se concentrer sur les sports collectifs. Les médias traitant en priorité et dans une plus large mesure des mouvements de foule et des violences généralisées, nous avons décidé de nous concentrer sur les violences dans les stades, quand le sport devient un spectacle qui déborde. Nous avons donc appliqué le filtre textuel « football » à la colonne des descripteurs.

Au fil de nos analyses quantitatives, nous avons pu nous rendre compte de la part importante que prend le football dans le traitement médiatique des violences et rivalités dans le sport et entre supporters. Devant ces constats nous avons donc décidé de nous concentrer pleinement sur ce sport, au cœur du sujet plus large des rivalités dans le milieu sportif. En effet, le football constitue la discipline majoritaire du corpus  initial. Ce dernier paramètre mis en place, notre corpus final compte 978 notices.

Nous avons tout d’abord procédé à des analyses quantitatives afin de dégager des premiers résultats d’ensemble et des visualisations nous permettant de voir des tendances se dessiner. À partir de ces résultats, nous avons ensuite décidé de les compléter par une analyse qualitative avec des études de discours, de l’observation et analyse d’image. Ces deux raisonnements s’enrichissant mutuellement par leur complémentarité.

La représentation des différents supporters de clubs

Figure 1. Part des médias français qui traitent des sujets des violences dans le football

Le diagramme représente les différentes chaînes traitant des sujets de violences dans le football. On s’aperçoit qu’une grande partie est transmise par la chaîne TF1 (40,7%), suivie de France 3 (22,9 %) , France 2 (17,7 %), Antenne 2 (4,1 %), Canal + ( 2,7 %) et ARTE (1,2 %).

Figure 2. Évolution de la couverture des violences dans le sport en France au fil des années

Nous pouvons souligner cinq principaux pics de médiatisation de ces sujets, à travers la surreprésentation de notices à ces périodes clés : 1985, 1989, 1993, 1998 et 2006. En étudiant plus amplement notre corpus, nous nous sommes rendu compte que ces cinq dates correspondent chacune à un ou des événements clés :

• 1985: Heysel
• 1989: Hillsborough
• 1993 : OM vs PSG – Championnat de France
• 1998: Coupe du Monde
• 2006 : Un mort au Parc des Princes

Figure 3. Évolution de l’apparition du terme « hooligan » dans les médias français au fil des années

 Nous avons ensuite approfondi le phénomène des hooligans. Le graphique linéaire en Figure 3 présente les notices dans lesquelles apparaît le terme « hooligan » (en orange) contre les notices dans lesquelles il n’apparaît pas, et ce chronologiquement. Ce visuel laisse transparaître certaines tendances qui sont intéressantes  ; d’une part le terme qui apparaît en 1984 est mentionné de manière plutôt récurrente dans les médias par la suite. Nous pouvons observer quelques pics, des périodes durant lesquelles le terme est plus souvent mentionné dans notre corpus notamment en 1998 où l’on note un plus grand nombre de notices comportant le terme « hooligan » que de notices qui ne comprennent pas ce terme. Finalement le terme semble être abandonné vers 2013.

Des violences qui se répètent et des rivalités récurrentes

Plusieurs clubs, villes et pays sont ressortis de nos analyses : Liverpool, PSG-OM, Grande-Bretagne, France,… Ces résultats permettent de dessiner une première tendance. Les rivalités se créent en majorité entre supporters, lors de compétitions et de rencontres entre deux clubs.

Figure 4. Nombre de mentions des clubs dans le corpus

La réalisation de ce diagramme a nécessité au préalable le recensement des clubs les plus éminents dans les différents championnats de football. Ce diagramme laisse transparaître une nette surreprésentation de trois équipes qui se détachent des autres; l’Olympique de Marseille qui apparaît dans 202 notices, le Paris Saint-Germain dans 53 notices et Liverpool dans 88 notices. Un second groupe de clubs se détache en étant présent dans une dizaine de notices tandis que le reste des clubs apparaît de manière plus ponctuelle. On constate logiquement une surreprésentation des clubs français, car tous les médias du corpus sont français.

À la vue de ce diagramme, on peut se demander pourquoi sur 978 notices, peu semblent au final mentionner des clubs ; en fait les autres notices concernent soit des matchs entre pays, soit des faits divers sans mentions d’équipes. Nous avons choisi de nous focaliser sur les supporters de clubs, car ce sont les occurrences qui illustrent le mieux la rivalité et les cas les plus extrêmes de violences.

Certaines hypothèses peuvent être formulées quant à la surreprésentation des trois premiers clubs dans les notices. On pourrait par exemple spéculer que les supporters de ces trois clubs sont ceux les plus impliqués dans les faits de violence, ou même qu’ils sont les plus violents.

Figure 5. Équipes revenant le plus par pair dans les notices

Ce graphique circulaire présente les noms de clubs qui reviennent le plus souvent ensemble dans les faits de violence entre supporters. On constate une dominance écrasante du duo OM-PSG face à d’autres duos qui reviennent ponctuellement.

Cette visualisation, d’une part, est significative de la rivalité historique de notoriété publique qui existe entre ces deux clubs et d’autre part permet d’émettre l’hypothèse que les supporters de ces deux clubs sont les plus virulents, ce qui irait dans le sens des conclusions que nous ont permis de tirer les visualisations précédentes.

Figure 6. Évolution du traitement médiatique des rivalités au football au fil des années

Ce graphique linéaire présente l’évolution des mentions des duos de clubs en fonction des années. On constate un pic en 1993 durant lequel le duo PSG-OM est très mentionné . Ce pic peut s’expliquer de différentes manières : un certain nombre de notices traite de la victoire de l’OM au Championnat de France contre le PSG et des réactions virulentes des supporters en conséquence. On peut également imaginer que ce pic est dû à la promulgation d’une loi visant à enrayer la violence dans les stades la même année, suite aux incidents à répétition suivant les matchs opposant les deux clubs.

Les violences dans le sport : le reflet de nos sociétés

Partant du constat que ces phénomènes de violences se répètent souvent entre les mêmes clubs et dans des villes et pays récurrents, nous avons souhaité questionner leur nature et la raison de ces affrontements. Comme nous l’avons vu plus haut, la médiatisation de ces événements a fortement augmenté entre 1985 et 1990. Il s’agit d’une période marquée par deux événements qui ont chamboulé le milieu du sport : le drame de Heysel en 1985 et la catastrophe d’Hillsborough en 1989. Deux matchs de foot qui ont eu des issues mortelles pour certains spectateurs.

Figure 7 : « Belgique », Antenne 2 Le Journal de 20H, Antenne 2, 17 juillet 1985, 1min44

À partir de la médiatisation de ces deux événements, nous nous sommes rendu compte de la portée sociale et politique des phénomènes de violence. Le football est présenté comme un « sport de pauvre », « un loisir populaire » qui rassemble notamment les jeunes de quartier défavorisé. Nous pouvons notamment le voir avec le club de Liverpool dont les supporters sont mis en cause pour ces deux catastrophes.

Dès les années 90, et notamment dans les années 2000, nous remarquons une approche de plus en plus sociologique pour présenter ces phénomènes de violence dans le sport. Ainsi, sociologues et experts tentent d’expliquer ces débordements. Pierre Bourdieu prend la parole dans l’émission 19/20 et parle d’un sport à l’origine pensé pour maîtriser ces violences qui devient bizarrement, un « lieu d’exercice d’une forme de violence organisée ». Un autre sociologue dans l’émission Soir 3 en 1988 parle de mesures qui « traitent les symptômes et non les causes » pointant du doigt un mal-être social ignoré à l’origine du hooliganisme.

Dans le dossier d’Audrey Mercurin, « La violence, l’autre face du sport » dans Sud-Ouest, publié le 5 avril 2018, Julien Jappert indique que le sport est le reflet de nos sociétés. La représentation des supporters dans le traitement médiatique de ces événements de violence révèle des situations défavorisées d’une catégorie de la population.

Au cours de notre analyse qualitative, nous avons pu remarquer que les termes comme « bataille », « guerre », « mort » ainsi que les références aux conflits ayant eu lieu dans le passé étaient récurrents. Par exemple lors d’un match Angleterre-Argentine, un supporter anglais interviewé par la télé nationale déclare « Ils ont perdu les malouines, ils perdront ce match ! ». Ces éléments de langage sont accompagnés d’images d’émeutes et de violences rappelant des reportages de guerre.

« Les fanzines des hooligans », Soir 3, FR3, 5 juin 1990, 2 minutes.

« Foot mondial : affrontements entre supporters », Le journal permanent, La5, 4 juillet 1990, 1 minute 30

Cette première image montre un fanzine hooligan anglais arborant une croix gammée censée représenter les idéaux des hooligans de Liverpool. Sur la deuxième, on peut voir un véhicule blindé de la police argentine utilisant un jet d’eau pour repousser la foule et les émeutiers suite à une victoire de l’Argentine lors de la coupe du monde de 1990.

2006 étant l’un des pics les plus importants médiatiquement, nous avons regardé ce qu’il s’y est passé et un évènement était très récurrent, il nous a donc semblé pertinent de l’analyser : PSG – Tel-Aviv 2006. Lors de cette rencontre un supporter juif de Tel-Aviv a subi une agression antisémite de la part de hooligans du groupe des Boulogne Boys. Un policier a sorti son arme et a tué l’un des agresseurs, ce qui a entrainé une forte médiatisation cette affaire très médiatique.

La manière dont cet événement est imagé avec les impacts sur les vitres rappelle la violence de la scène, et plus tard dans l’extrait, on voit Nicolas Sarkozy, interrogé par desjournalistes déclarer : « Le football, ce n’est pas la guerre ».

« Un policier abat un supporter du PSG », 12/13 Edition Nationale, France 3, 24 novembre 2006, 2min15 

Le champ lexical de la guerre est récurrent dans les descripteurs du corpus. Par exemple dans le match entre le FK Sarajevo et les Casques bleus qui s’est déroulé pendant la Guerre de Bosnie-Herzégovine, le football a été utilisé comme une arme diplomatique pour montrer au monde que la région redevient paisible.

: « Match foot Sarajevo », 20 Heures, TF1, 20 mars 1994, 1min37

Une représentation militaire a été effectuée en avant-match et c’est ce qui est majoritairement représenté dans cet extrait, ainsi que les dégâts des combats sur les infrastructures du stade.

Conclusion 

La médiatisation des violences dans le sport permet de mettre en lumière des biais dans les représentations du football et de ses supporters notamment lors des événements de violence tragiques. Grâce à la complémentarité de nos analyses quantitatives et qualitatives, nous avons noté plusieurs tendances. Tout d’abord, dans notre corpus, l’évocation des violences  sportives renvoie essentiellement au football, sport populaire et véritable spectacle des temps modernes. Après avoir redéfini les contours de notre corpus, nus avons identifié plusieurs périodes se présentant des pics d’intérêt pour ce sujet, ainsi que les mentions de plusieurs clubs et pays récurrents dans le corpus des notices. C’est pourquoi nous avons concentré nos analyses qualitatives sur des événements singuliers et des rivalités régulières.

Nous avons remarqué la dimension sociale sous-jacente liée à ces incidents et l’usage d’un discours, renvoyant à des imaginaires de guerre. Il est toutefois important de noter que ce corpus et les analyses produites peuvent présenter des limites et introduire des biais. En effet, les chaînes traitées étant toutes françaises, les événements de violences en France ainsi qu’en Europe profitent sûrement d’une surreprésentation au regard d’autres événements dans le monde. Cette étude permet de mettre en exergue la dimension sociale et politique du traitement médiatique  des rivalités et violences dans le football, elle illustre la manière dont au fil du temps ces problématiques sont devenues prétexte à débats politiques et sociétaux.

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