La cérémonie d’ouverture des jeux olympiques, plateforme de rayonnement mondial au prisme de la symbolique  : L’exemple des JO organisés en France

Article rédigé par Élodie Ferro, Lucas Gallier, Léa Mornet , Tim Rezzi, avec le soutien pédagogique de Marta Severo, dans le cadre d’un Module Innovant Pédagogique(MIP) organisé sous la forme d’un DataSprint par l’INA thèque et l’EUR ArTec, du 7 au 10 mars 2023. Cette édition de l’événément portait sur la thématique du Sport en anticipation des Jeux Olymiques 2024 à Paris.

« Ces cérémonies télévisées, qui attirent l’attention de manière universelle et simultanée pour raconter une histoire primordiale sur l’actualité, sont pour la plupart très ritualisées et chargées de symboles (Dayan, 2010). C’est le cas des JO qui, sous l’impulsion de Coubertin, se sont établis comme un véritable rituel, avec l’apparition de symboles forts : une devise olympique en 1845, un hymne olympique et l’inauguration des JO par le dirigeant du pays hôte en 1866, la publication d’une charte olympique en 1908, la conception d’un drapeau olympique en 1937, la proclamation d’un serment lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux de 1920, l’apparition de la flamme olympique en 1988. » (Thillou, 2017)

Introduction

L’organisation des Jeux Olympiques permet au pays d’accueil une mise en avant puissante de sa culture, de son patrimoine et de son pouvoir. Ainsi, lorsque la France a accueilli les Jeux Olympiques en 1968 et en 1992, de nombreux symboles nationaux ont été mobilisés afin de promouvoir le pays et ses valeurs.

Notre travail d’analyse a porté sur la symbolique lors des cérémonies d’ouverture de Jeux Olympiques, en s’appuyant plus particulièrement sur les JO organisés en France. Nous avons interrogé la place de ces symboles, leurs rôles et leurs significations, au cours d’une cérémonie dont l’impact est mondial et permet de mettre en valeur un pays. Nous avons donc axé notre travail autour de la problématique suivante : Dans quelle mesure les symboles remplissent-ils un rôle pluriel lors des cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques en France ?

Antoine Vergote, dans son ouvrage Le Symbole (1959) définit le symbole comme étant un signe se référant à une idée abstraite et imperceptible telle que des idéaux ou des valeurs. Les symboles sont généralement définis de manière conventionnelle, comme l’est par exemple la colombe, symbole standardisé de la paix. Ces signes permettent alors de créer du lien car ils relèvent des communs. Dans son mémoire intitulé « Comment les cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques construisent-elles l’image nationale du pays hôte ? Le cas des JO de Londres 2012, Rio 2016 et Pyeongchang 2018 », Adrien Maes traite des symboles mobilisés lors des cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques. Il relève ainsi à travers ses analyses la multitude de symboles mobilisés, qu’ils soient politiques ou culturels, lors des différentes cérémonies. Selon lui, à chaque édition, les pays proposent une cérémonie pleine de symboles, contraignant les prochains pays d’accueil à en faire toujours plus, et à se représenter de façon unique et spectaculaire. Les cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques seraient donc un enjeu majeur pour la représentation du pays organisateur. Comme le souligne Marie Chamard[1], la cérémonie d’ouverture est un outil d’unité nationale et une plateforme permettant d’entrer en concurrence avec les autres nations.

Méthodologie

Nous avons décidé d’aborder cette problématique sous un angle précis, celui des cérémonies d’ouverture de Jeux Olympiques organisées par la France. Ce choix s’est fait pour plusieurs raisons : tout d’abord, la France est la seconde nation à avoir organisé le plus de JO, ce qui garantissait un échantillon riche, sentiment renforcé par la temporalité de ces JO, très étalés dans le temps, de 1900 à 2024. Nos corpus de documents télévisés et de tweets ne couvraient pas l’entière temporalité, les émissions télévisuelles ne commençant qu’en 1948 et les tweets les plus anciens des collections archivées par l’INA ne remontant qu’à 2015. Notre recherche s’est donc focalisée sur trois éditions : les Jeux Olympiques de Grenoble en 1968, Albertville en 1992 et Paris en 2024. Hasard historique, il s’avère que ces trois éditions coïncident avec des évènements historiques marquants, qui viennent enrichir la lecture de nos jeux de données : l’édition de 1968 a lieu quelques mois avant les mouvements sociaux de mai 68, touchant la France à l’échelle nationale, l’édition de 1992 se tient quelques années après la chute du mur de Berlin, la réunification allemande et la chute de l’URSS, et la cérémonie d’ouverture de cette dernière a lieu le lendemain de la signature du traité de Maastricht. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces éléments plus en détail par la suite.

Après avoir identifié notre sujet de recherche, nous avons exploré les jeux de données à notre disposition de manière à isoler un nombre restreint de documents vidéo en rapport avec notre sujet afin de visionner pour analyse. En limitant l’analyse aux dates et mots-clés nous intéressant (Albertville, Grenoble, Paris, Cérémonie officielle, Cérémonie d’ouverture), nous avons pu identifier un peu moins d’une trentaine de vidéos pertinentes. Quant au corpus de tweets, nous avons pris la décision de l’aborder de manière quantitative, en  nous intéressant aux occurrences de certains termes, des comptes mentionnés, des hashtags utilisés. Il est aussi important de noter que nous avons considéré, dès le début de nos recherches, que les utilisateurs de Twitter ne représentent pas la population française, et que notre étude de ce corpus doit être envisagée comme incomplète. Ceci étant dit, ce corpus permet néanmoins de mieux comprendre comment ces publics considèrent les symboles nationaux et régionaux dans le cadre des Jeux Olympiques, et comment ces derniers sont perçus dans l’imaginaire collectif.

Résultats de l’analyse

La cérémonie d’ouverture est, comme son nom l’indique, l’événement qui officialise l’ouverture des Jeux Olympiques. Si la première édition des jeux modernes de 1896 à Athènes a bien eu sa cérémonie d’ouverture, beaucoup de ses éléments constitutifs ont été intégrés au fil des éditions. Par exemple, le défilé des athlètes a eu lieu pour la première fois en 1908 lors de la IVème olympiade. Ce sont les jeux d’Anvers de 1920 qui arrêtent un certain nombre d’étapes obligatoires à la cérémonie. La règle 55 de la charte olympique décrit le protocole devant être respecté lors de la cérémonie.

Le Comité International Olympique dénombre 11 étapes obligatoires, qui seront ici citées directement depuis la feuille d’information du comité :

• Entrée du chef de l’état et du président du Comité International Olympique (CIO) ;
• Interprétation de l’hymne national ;
• Défilé des athlètes ;
• Lâcher symbolique de colombes ;
• Lauriers olympiques ;
• Discours officiels ;
• Ouverture des Jeux ;
• Lever du drapeau olympique et l’interprétation de l’hymne olympique ;
• Prestation du serment olympique par un athlète, un juge et un entraîneur ;
• Allumage de la vasque olympique ;
• Programme artistique

L’événement est ainsi extrêmement codifié, chaque étape ayant ses propres conditions obligatoires. La déclaration d’ouverture des jeux d’hiver (étape 7) doit suivre la forme suivante : « Je proclame ouverts les… (numéro des Jeux Olympiques d’hiver) Jeux Olympiques d’hiver de… (nom de la ville hôte). ». Pour le défilé des athlètes, l’ordre des nations est défini en fonction de l’ordre alphabétique du pays hôte, en revanche la délégation grecque ouvre toujours le défilé et la nation hôte le clos. Le protocole fait mention des symboles olympiques obligatoires : les colombes, les lauriers, le drapeau olympique, l’hymne et le serment olympique ainsi que la flamme olympique. Dans cet espace extrêmement codifié, comment les nations peuvent-elles faire valoir leurs symboles ?

Cette question est particulièrement pertinente concernant la France, puisque le pays a organisé 6 olympiades entre 1900 et 2024. Ce qui fait de la France, le deuxième pays ayant accueilli le plus d’éditions des Jeux Olympiques derrière les Etats-Unis, avec 6 éditions françaises (3 d’été et 3 d’hiver) et 8 éditions américaines (4 d’été et 4 d’hiver).

Comme nous l’avons déjà précisé sur les 6 éditions françaises, seulement 3 ontfait l’objet d’une analyse : Grenoble 1968, Albertville 1992 et Paris 2024. Notre corpus initial commençant en 1948, il était impossible de traiter des éditions de Paris 1900 et 1924 (pour les JO d’été) et de Chamonix en 1924 (pour JO d’hiver). De plus, Paris 2024 est une édition particulière puisque la cérémonie n’avit pas encore eu lieu au moment où le travail d’analyse a été mené,. Les symboles quant à eux sont toutefois déjà très présents.

Figure 1. Nombre de JO d’hiver et d’été organisé par pays.

La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 1968 s’est déroulée à Grenoble, ville de la région Rhône-Alpes. Durant cette cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, plusieurs symboles de l’ordre du régional et du national ont été utilisés. Nous avons ainsi remarqué l’apparition de symboles nationaux tels que l’équipe de France de parachutisme, le président Charles de Gaulle, le drapeau français, la Marseillaise, les tenues de soldats français de la 1ère Guerre mondiale, les couleurs bleu, blanc et rouge, le coq, les tambours, le blason français, la Patrouille de France ou encore les scouts. Des symboles régionaux ont également été identifiés tels que la montagne, les habits rouge et noir traditionnels de Savoie, l’armée française des chasseurs alpins, ainsi que les pétales de roses et le flocon de neige – symboles de la ville de Grenoble.

La France a à nouveau accueilli les Jeux olympiques d’hiver en 1992, à Albertville, en Savoie. La cérémonie d’ouverture a encore une fois mis en avant des symboles multiples. Les symboles nationaux tels que le président François Mitterrand, la Patrouille de France, le drapeau français, la Marseillaise, le coq, les couleurs bleu, blanc et rouge, ainsi que l’armée française des chasseurs alpins, étaient donc mis en avant. Des symboles régionaux ont également fait leur apparition comme les costumes rouge et blanc – les couleurs traditionnelles de la Savoie, les poupées de Savoie, la montagne en arrière-plan, les musiques, instruments et danses traditionnels régionaux ainsi que l’oeuvre musicale  « La bénédiction des Alpes ». Mais les symboles internationaux, voire mondiaux, étaient les plus présents lors de cette cérémonie. Nous avons en effet remarqué un flocon de neige, symbole des jeux d’hiver, des cloches d’église, symbole du christianisme, des cornes d’abondance, des enfants, symbole de l’innocence, la colombe symbole de la paix, la présence de Michel Platini, le drapeau des Jeux Olympiques, ou encore la langue des signes. Des symboles de l’Union européenne ont également fait leur apparition tels que les étoiles dorées, le drapeau de l’UE ou encore l’ode à la joie, hymne européen.

Pour le cas des Jeux Olympiques de Paris 2024, et étant donné que le temps de l’analyse du corpus précédait de plus d’une année la cérémonie d’ouverture, nous avons approché le sujet sous un autre angle au travers d’un corpus de tweets qui outre les symboles officiels, mis en avant par le acteurs officiels et gouvernementaux, présente des opinions plus personnelles au-delà du cadre institutionnel. Il faut évidemment souligner que  ce corpus Twitter n’est pas représentatif de la société française, qu’il concerne une part de la population très circonscrite, et que la possibilité d’anonymat sur ce réseau social permet l’émergence de certaines idées radicales. Ceci étant dit, il nous a été très utile afin d’observer des tendances, des revendications d’appropriation de certains symboles, des critiques des productions officielles ou même des symboles nouveaux réclamés par les publics eux-mêmes. Notre travail s’est donc porté sur les hashtags utilisés dans le corpus, les comptes les plus mentionnés dans les tweets ainsi que sur les occurrences d’une liste élargie de symboles.

La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de 1968 : une représentation patriotique et militaire de la France

La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de février 1968 se déroule six ans après la fin de la guerre d’Algérie. Dans ce contexte de décolonisation, la France souhaite réaffirmer sa puissance militaire, ce qui se traduit notamment lors de cette cérémonie d’ouverture. Charles de Gaulle, alors président de la République, veut faire de ces jeux une vitrine de la France. Dans cette optique, de nombreux moyens sont investis dans la création d’infrastructures, la modernisation de la ville d’accueil et la cérémonie d’ouverture. Grenoble doit être une capitale olympique, symbole de la modernité et du prestige de la France, placée sous le regard international et mondial.

La période des Jeux Olympiques de 1968 se place également dans une situation où on assiste à une détérioration importante de la situation économique en France. Malgré une période économique prospère à la suite des trente glorieuses, les inégalités se creusent au sein de la population, entre pauvres et riches. Ces inégalités touchent notamment une grande partie des étudiants, ce qui mènera en mai 1968, à des mouvements de révolte et de contestation. La France a donc une fois encore besoin de se montrer unie, dans ce contexte.

La cérémonie d’ouverture des Jeux a lieu dans le stade olympique de Grenoble. Dans un premier temps, l’équipe de France de parachutisme fait son arrivée. Une première entrée en matière spectaculaire et impressionnante donne le ton pour le reste de la cérémonie. La France fait démonstration de son pouvoir dès le début, par l’intermédiaire de l’armée. À l’arrière, les montagnes surplombent la cérémonie. Le paysage régional mais aussi français est mis en avant.

Figure 2 : « Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de Grenoble 1968 », Jeux Olympiques d’hiver, 1ère chaîne, 6 février 1968, 1h45.

L’arrivée du cortège du président Charles De Gaulle, qui survient peu de temps après, marque le début de la cérémonie d’ouverture. Sa voiture est surmontée d’un petit drapeau français. Il se tient fièrement debout et fait son signe de croix. Il positionne alors la France comme nation chrétienne face au monde… Puis, vient l’exécution de la Marseillaise jouée sur un ton militaire. Elle accompagne l’arrivée des athlètes regroupés par délégation. Cette arrivée se fait dans un ordre alphabétique. C’est la première fois que l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest prennent part aux Jeux Olympiques. Du côté des Français, la dimension militaire est, là encore, très présente. Les athlètes portent des tenues de couleur bleue, avec des grandes bottes et un col blanc – des habits qui rappellent ceux portés par les soldats pendant la Première Guerre mondiale. Ils ont également autour du bras gauche, un brassard bleu blanc rouge avec un coq noir au centre, symbole de la France lors des événements sportifs. De grands drapeaux français encadrent la parade.

Figure 3 : « Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de Grenoble 1968 », Jeux Olympiques d’hiver, 1ère chaîne, 6 février 1968, 1h45.

Après le défilé, Charles De Gaulle proclame les Jeux Olympiques d’hiver ouverts, d’un ton sec et avec une articulation extrême. Un discours qui s’apparente à celui d’une déclaration officielle. Après le coup de canon traditionnel, le drapeau des Jeux Olympiques est hissé par l’armée française des chasseurs alpins. La clôture de la cérémonie évoque aussi une ambiance militaire à travers le roulement des tambours, le parcours de la flamme ainsi que sa transmission à cinq autres athlètes par l’ex-patineur artistique grenoblois Alain Calmat. Ses gestes sont directs, le bras tendu et le visage fermé. Les passeurs de flamme sont habillés avec des habits blanc et bleu ou bien blanc et rouge de la marque Adidas et portent le blason français sur la poitrine. Les marches en plaques d’aluminium gravies par les sportifs ont été offertes par la République du Cameroun, pays sous tutelle de la France jusqu’aux années 60. Ce cadeau questionne quant à la relation entre pays colonisé et pays colonisateur. D’un côté on peut penser que ce cadeau constitue un gage de bonne entente entre les deux pays, d’un autre on peut s’interroger quant à la neutralité de la France, encore présente à ce moment-là, dans cette prise de décision. Les scouts de Grenoble, également présents, allument à leur tour des torches dans les tribunes.

À la fin de la cérémonie, les hélicoptères de l’armée de l’air lancent une pluie de roses en papier, symbole de la ville de Grenoble qui remplace les lâchers d’oiseaux. La patrouille de France défile en fin de cérémonie, et trace dans le ciel les cercles olympiques aux couleurs des Jeux Olympiques.

La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de 1968 alterne alors entre représentation patriotique et militaire et mise en avant des symboles régionaux.

La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de 1992 : une nouvelle identité européenne

En 1992, la France accueille à nouveau les Jeux Olympiques, à Albertville en Savoie. La cérémonie d’ouverture s’ancre alors dans un contexte de transition pour l’Europe. En effet, celle-ci se déroule en février 1992, alors que le traité de Maastricht vient d’être signé, marquant la fondation officielle de l’Union européenne.

Tout comme en 1968, la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 1992 s’ouvre de façon très patriotique. La Patrouille de France est ainsi la première à défiler, affirmant à nouveau la position militaire de la France. La culture chrétienne du pays est, elle aussi, toujours mise en avant, à travers le son des cloches d’églises qui se font entendre par-dessus la cérémonie.

Mais très vite, contrairement à la cérémonie de 1968, centrée sur la France et la région de Grenoble, l’identité nationale française disparaît pour laisser place à une toute nouvelle identité, celle de l’Europe. La cérémonie montre ainsi une volonté de s’ouvrir au monde, avec un premier tableau réalisé en langue des signes et des discours prononcés en français comme en anglais. L’ode à la joie de Beethoven, hymne européen, se fait alors entendre bien avant l’hymne français. De nombreuses représentations sont d’ailleurs réalisées afin de rendre hommage à l’Union européenne, mettant chacune en avant des symboles forts de l’Union, tels que les étoiles dorées de son drapeau. Le drapeau de l’Europe est ensuite hissé à la place du drapeau du pays d’accueil, qui est traditionnellement mis en avant au début de la cérémonie.

Figure 4 : « Cérémonie d’ouverture des XVIèmes Jeux Olympiques d’hiver », Jeux Olympiques d’hiver, Antenne 2, 8 février 1992, 2h13.

Ainsi, pendant presque une heure, soit pour la moitié de la cérémonie d’ouverture, c’est l’Europe qui est la plus célébrée, au détriment de l’identité française. Le message de cette cérémonie apparaît assez clairement. Après la chute du mur de Berlin en 1989 entraînant la réunification de l’Europe, la chute de l’URSS en 1991 redonnant un nouveau visage à l’Europe et le traité de Maastricht tout juste signé, l’Europe, ce vieux continent plein d’histoire, se trouve profondément redéfini. La cérémonie d’ouverture de 1992 devient un véritable hommage à cette création de l’Union européenne et permet à la France d’affirmer non seulment son identité française, mais aussi son identité européenne. C’est d’ailleurs le cas pour chacun des pays constituant l’Union à ce stade, soit 12 pays en 1992, qui ont tous défilé avec les couleurs de leur pays mais également avec un cercle contenant les 12 étoiles symboliques de l’Union européenne.

Le drapeau français n’apparaît ainsi qu’après 50 minutes de cérémonie, lorsque vient le tour de la France dans le défilé. Les symboles français apparaissent lorsque les athlètes français surviennent. Les dossards aux couleurs de la France sont visibles sur les tenues de ski des athlètes, ainsi qu’un coq en bleu blanc et rouge sur leur bras gauche. Ainsi, si la cérémonie d’ouverture a pour but de célébrer l’Europe, les athlètes français arborent évidemment les couleurs nationales.

Figure 5 : « Cérémonie d’ouverture des XVIèmes Jeux Olympiques d’hiver », Jeux Olympiques d’hiver, Antenne 2, 8 février 1992, 2h13.

Les symboles régionaux n’arrivent que dans un troisième temps. La Marseillaise est interprétée après 1h20 de cérémonie par une jeune fille de 11 ans, habillée en rouge et blanc, les couleurs de la Savoie, dans une robe ornée de poupées de Savoie. Le choix d’une enfant pour interpréter l’hymne national apporte une touche d’innocence mais permet également une humanisation du pays, tout en insistant sur la notion de transmission des valeurs d’une génération à l’autre. Durant la deuxième partie de la cérémonie, les symboles régionaux se font nombreux. On peut observer la Tarentaise, montagne savoyarde, en arrière-plan – ce qui permet de mettre en avant le patrimoine culturel de la région mais également la diversité des paysages français. Le paysage de la Savoie ainsi que les traditions et l’histoire de cette région sont ainsi mis en exergue à travers notamment l’interprétation de La bénédiction de l’Alpe, une prière traditionnelle chantée le soir dans les régions Alpines. Cette deuxième partie de la cérémonie, comportant essentiellement les différents discours, a ainsi été conçue pour s’adresser aux habitants de la région,au travers des symboles et traditions qui leur sont familiers.

Figure 6 : « Cérémonie d’ouverture des XVIèmes Jeux Olympiques d’hiver », Jeux Olympiques d’hiver, Antenne 2, 8 février 1992, 2h13.

Ainsi, pour cette cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de 1992, la France a souhaité d’abord se présenter en tant que pays européen, puis en tant que patrie et enfin, en tant que pays aux paysages et traditions multiples. La fin de la cérémonie oscille entre discours régional, national et international. L’armée française des chasseurs alpins, symbole national français, porte en effet le drapeau des Jeux Olympique, symbole universel, afin d’aller le hisser sur un mât. Michel Platini, footballeur français reconnu à l’international, est chargé de porter la flamme. Héros français qui dépasse les frontières, il est à la fois symbole national et international. Puis, comme le veut la tradition, une colombe est lâchée une fois la flamme olympique allumée afin de représenter la paix, symbole également universel.

Les cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques de 1968 et 1992 nous ont donc permis de confirmer notre hypothèse que l’événement constitue une plateforme de rayonnement mondial pour le pays d’accueil des Jeux Olympiques. En effet, ces cérémonies permettent au pays hôte, en l’occurence la France, de mobiliser des symboles, nationaux, régionaux ou internationaux, afin d’affirmer une identité, un positionnement, dans un contexte géopolitique précis. Les contextes politiques jouent un rôle majeur dans les représentations que les pays d’accueil veulent transmettre. Ainsi, en 1968, la France tendait à se présenter comme nation, avec une identité forte marquée par le patriotisme, le christianisme et l’armée. En 1992, la France cette dimension patriotique est moins présente tandis que la dimension militaire est abandonnée au profit d’une nouvelle identité de nation européene. Apparaissent alors de nouveaux symboles tels que le drapeau de l’Europe et ses étoiles dorées. Cela confirme donc notre hypothèse que les symboles mobilisés lors des cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques, loins d’être anodins, permettent les représentations de communautés socio-politiques et culturelles diverses. Les symboles peuvent ainsi être nationaux, internationaux ou régionaux, se référer à une communauté particulière, une période historique, un combat ou un contexte géopolitique.

Certains symboles sont cependant communs aux deux éditions étudiées, créant une idée de tradition. Des symboles français tels que le coq, le drapeau français, la patrouille de France et le catholicisme se retrouvent en effet tant dans la cérémonie d’ouverture de 1968 que de 1992 – ils sont mis en scène différemment suivant l’année, afin de mêler tradition et renouvellement dans chaque édition.

Les Jeux Olympiques de Paris 2024 : vers une interpretation plus personnelle des symboles

Puisque cette analyse a été menée plus d’une année avant la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024, la comparaison avec les éditions de 1968 et 1992 n’a pu être menée selon les mêmes critères. Cependant, l’étude des tweets nous a donné l’opportunité de mesurer le rôle des symboles au-delà du cadre officiel et traditionnel, en considéerant des opinions et réactions plus individuelles.

Dans un premier temps, nous avons récupéré la liste des symboles nationaux présents dans les cérémonies d’ouverture étudiées précédemment, et nous avons regardé s’ils étaient mentionnés dans notre corpus de tweets. Il se trouve que c’est le cas pour la plupart d’entre eux : le drapeau tricolore est bien évidemment présent, tout comme le coq ou encore la marseillaise. La Patrouille de France apparaît aussi, mais cela est davantage corrélé à sa présence lors de la cérémonie de clôture des JO de Tokyo 2020. Concernant le coq français, sa symbolique s’étend même aux marques puisque le Coq Sportif, équipementier officiel de la délégation française des JO 2024 fait partie des comptes les plus mentionnés, mais il prend aussi la forme d’un cri de ralliement, d’unité derrière les athlètes français à travers le hashtag « cocorico », repris massivement sur Twitter. On constate le même phénomène avec le drapeau français, dont la première couleur le bleu devient un surnom pour les athlètes français, indépendamment du sexe ou de la discipline pratiquée. Le seul symbole français qui n’apparait pas dans notre corpus de tweets est la cocarde tricolore, qui semble délaissée par les utilisateurs de Twitter. L’une de nos hypothèses est que ce symbole est de nos jours trop lié aux mouvements politiques d’ultra-droite pour être réutilisé sans connotation, mais nous n’avons pas à disposition les données qui permettraient d’objectiver pleinement ce phénomène.

Nous avons ensuite élargi notre champ de recherche, en nous concentrant sur des symboles en lien avec la ville de Paris. On retrouve évidemment la Tour Eiffel, la vie en rose, la baguette, le béret ou même le French cancan, symbole d’une richesse nationale et d’une certaine fierté, les tweets mentionnant ces symboles s’appuyant souvent sur l’idée qu’ils sont davantage signifiants pour les étrangers, que les symboles dits officiels.

Nous avons volontairement laissé de côté deux symboles nationaux très particuliers : Marianne et le bonnet phrygien.

Dans le cas de Marianne, représentée sur le logo officiel des JO 2024, qui figure en même temps la flamme olympique et une médaille d’or, les internautes reprochent un manque de caractère, de signe distinctif permettant d’affirmer clairement son identité. Certains tweets comparent même ce logo à celui d’un salon de coiffure. Cet exemple permet d’évoquer la notion de lisibilité d’un symbole : qu’est-ce qui le rend intelligible à tous, qu’est-ce qui en fait un élément marquant ? On remarque dans le design une tendance à l’épuration, à la simplification à outrance, et le cas de cette Marianne semble souligner le fait que les symboles doivent être préservés de toute évolution graphique trop brutale.

Dans le cas du bonnet phrygien, le problème est encore différent : sélectionné pour être la mascotte officielle des JO, les utilisateurs ont reproché un design trop semblable à un clitoris, à tel point que le terme est plus présent dans les tweets que « bonnet phrygien » ou « phryges ». Vivement critiqué par certains, salué par d’autres pour sa défense d’un combat considéré comme féministe, cet exemple met en évidence une autre dimension du symbole : est-il en mesure de porter plusieurs combats, plusieurs identités ? La représentation de la nation française peut-elle aller de pair avec la mise en avant des mouvements féministes ? Cette dualité entre ceux qui saluent ce choix et ceux qui le critiquent tend à montrer que le rapport au symbole est plus individuel que le prétendent les gouvernements.

Conclusion

Grâce au travail détaillé dans cet article, nous sommes en mesure de répondre à la problématique posée :  Dans quelle mesure les symboles remplissent-ils un rôle pluriel lors des cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques en France ? Nous remarquons des tendances fortes dans l’utilisation des symboles, à la fois comme outil d’unité nationale dans la construction d’un imaginaire commun, comme représentation de cultures ou de groupes sociaux plus spécifiques, mais aussi comme plateforme de mise en avant de luttes et de combats sociaux. Nous notons une grande diversité dans ce que les Français considèrent comme des symboles : couleurs, monuments, personnalités, drapeau, animaux, …

De nombreuses ouvertures sont possibles sur le sujet, mais si nous devions prolonger notre travail, il sera intéressant d’approfondir la place des symboles dans d’autres grandes cérémonies sportives (Super Bowl, Coupe du Monde de Football, Finales NBA, Championnat japonais de Baseball, Tour de France, …) afin d’identifier de potentiels points communs ou divergences, ou encore d’analyser la place des cultures nationales ou sportives au travers de leur attachement aux symboles.

ANNEXES 

Annexe 1 : tableau des signes présents lors des cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques organisés en France entre 1968 et 2022.

	JO d’hiver de Grenoble – 1968	JO d’hiver d’Albertville – 1992	Présence dans le corpus de tweets (2015-2022)
Symbole nationaux
Coq	✔️	✔️	✔️
Président	✔️ (Charles de Gaulle)	✔️ (François Mitterrand)	✔️ (Emmanuel Macron)
Drapeau français	✔️	✔️	✔️
Marseillaise (hymne national)	✔️	✔️	✔️
Couleur bleu			✔️
Habits de soldats français 1ère GM	✔️
Bleu-blanc-rouge / tricolore	✔️	✔️	✔️
Blason français	✔️
Patrouille de France	✔️	✔️	✔️
Équipe de France de parachutisme	✔️
Scouts
Tambours	✔️	✔️
Armée française des chasseurs alpins	✔️	✔️
Bonnet phrygien			✔️
Cocorico			✔️
Marianne			✔️
Gaulois			✔️
Cocarde tricolore
Symboles régionaux
Tour Eiffel			✔️
Montagne, paysage régional	✔️	✔️
Habits rouge et noir traditionnels de la Savoie	✔️	✔️
Poupées de Savoie		✔️
Pétales de rose, symbole de la ville de Grenoble	✔️
Flocon de neige : symbole de la ville de Grenoble	✔️
Musiques traditionnelles régionales (Cor des alpes,…)		✔️
Danses traditionnelles régionales		✔️
Musique “La bénédiction des Alpes”		✔️
Béret			✔️
Symboles internationaux
Flocon de neige (sports d’hiver)		✔️
Cloches d’églises (christianisme)		✔️
Signe de croix (christianisme)	✔️
Étoiles dorées (Union européenne)		✔️
Drapeau de l’Union européenne		✔️
Langue des signes
Colombe (symbole de la paix)		✔️
Corne d’abondance		✔️
Enfants (innocence, fraternité…)		✔️
Symboles olympiques
Drapeau des JO	✔️	✔️	✔️
Logo olympique (5 anneaux entrelacés)
Flamme olympique			✔️
Célébrités internationales
Michel Platini		✔️
Daft Punk			✔️
Woodkid			✔️
Johnny Hallyday			✔️
Thomas Pesquet			✔️

 

Annexe 2 : capture d’écran de tweets mettant en évidence la place des personnalités publiques dans la représentation de la France

 

 

[1] CHAMARD, Marie. La représentation des pays organisateurs dans les cérémonies d’ouverture des jeux olympiques d’été (1960-2012). 2016. Thèse de doctorat. Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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