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Train de Noël : attention au départ !

Ce billet s’inscrit dans le cadre d’une réflexion engagée par les documentalistes de l’INA en lien avec le programme de recherche “En quête de variété(s)”, porté par Sébastien Denis (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et Guillaume Soulez (Sorbonne Nouvelle).

Les fêtes de fin d’année sont un moment propice pour proposer des programmes télévisés divertissants, joyeux, réjouissants et sortant de l’ordinaire. Aussi la grille de programmes est-elle pensée et orchestrée en amont par les équipes de production de chaque chaîne, pour susciter l’évènement. Ce billet propose un focus sur l’un de ces programmes, diffusé à la télévision l’après-midi du samedi 24 décembre 1960 : Le Train de Noël.
Cette émission de variétés animée par Jean Nohain et réalisée par Alexandre Tarta est conçue comme un spectacle composite et éclectique se déroulant à bord d’un train spécialement affrété par la SNCF, tout au long du trajet Lille-Paris ; des étapes sont également prévues dans les gares d’Arras et d’Amiens. Les différents numéros sont filmés depuis les wagons du train en marche, ainsi que dans les gares, où sont organisées des collectes de jouets destinés aux enfants défavorisés. Le Train de Noël est diffusé en direct, en quatre parties (les quatre rendez-vous sont donnés à 13h30, 14h20, 15h25 et 17h10), en alternance avec Promenade fantasque, autre programme de variétés spécialement réalisé pour les fêtes. Une programmation alléchante, certes… Mais hélas, Le Train de Noël n’apparaît pas dans les fonds télévision de l’INA. Pour autant, cette lacune ne doit pas décourager le chercheur ; la multiplicité des sources consultables à l’Institut national de l’audiovisuel permet de se consacrer à cet objet d’étude. A la recherche du Train de Noël dans les archives de l’INA, attention au départ !

Un Train fantôme de Noël ?

En matière d’archivage, la télévision se préoccupe assez tardivement de conserver ses documents ; qui plus est, la conservation des programmes est d’abord conditionnée par de fortes contraintes techniques. En 1960, elle repose encore sur de maigres moyens d’enregistrement. Au début des années 1950, la Radiodiffusion-télévision française (RTF) commence à conserver ses productions afin de les réemployer : les images enregistrées sur support film ayant valeur d’illustration sont réutilisées d’un programme à l’autre, en particulier pour les sujets d’actualités. Quant aux émissions diffusées en direct, certaines sont enregistrées grâce au kinescope1, mais cette pratique est loin d’être systématique ! Des choix sont effectués en amont et toutes les émissions n’ont pas été sauvegardées. Ces conditions d’archivage constituent bien souvent l’hypothèse la plus probable pour expliquer l’absence d’une émission dans les collections. Il existe pourtant d’autres sources consultables à l’INA thèque, qui permettent de documenter les étapes de la mise à l’antenne d’une émission – sa programmation, sa production, sa diffusion – et d’en reconstituer en partie la teneur.

INA, Philippe Bataillon. Techniques télévision, installations de télécinéma et kinescopes au centre RTF de la rue Cognacq-Jay à Paris, 01/05/1960, RPT0500030574.

Enjeux de programmation en période de fête : aiguillage et signalisation du Train de Noël

A la télévision, une émission s’insère dans une grille de programmes, c’est-à-dire au sein de l’organisation chronologique (à l’échelle d’une journée ou d’une semaine) des programmes d’une chaîne de télévision. C’est un élément clé de la stratégie éditoriale du média. La mise à l’antenne d’émissions spéciales pour les fêtes de fin d’année, pensée pour créer un véritable évènement télévisuel, est particulièrement travaillée et fait l’objet d’une communication renforcée.
La chaîne2 dispose de plusieurs moyens pour communiquer et informer les téléspectateurs de sa programmation, notamment via la diffusion de bulletins de presse, qui proposent une description thématique et chronologique des programmes de la semaine. Dans le numéro du 18 au 24 septembre 1960 du bulletin de presse émis par le service des relations avec la presse de la RTF, la chaîne dévoile son ambition pour la programmation des fêtes de fin d’année. Un même réalisateur, Jean Kerchbron, a été chargé de superviser l’ensemble des programmes des 24 et 25 décembre, afin d’assurer une continuité dans la composition de la grille : “Son seul but est de divertir les publics de tous les âges, et d’associer les spectateurs au rôle de Père Noël que jouera la télévision pour beaucoup d’enfants en cette nuit”. Chaque programme est ensuite présenté de manière chronologique, avec une attention particulière portée aux “premières”, c’est-à-dire aux nouvelles productions. L’encart sur Le Train de Noël insiste sur le dispositif technique particulièrement audacieux de l’émission – “une nouvelle performance des techniciens de la RTF”, reposant sur “un équipement de reportage à quatre caméras” dans un train en marche comprenant un véritable “wagon-studio” et enfin un “hélicoptère muni d’une caméra et d’un relai hertzien” -, qui vient renforcer son caractère inédit.

Bulletin de presse de la RTF du 18 au 24 décembre 1960. Notons que l’émission est également identifiée comme “Train spectacle” par la RTF.

Ces informations sont relayées et (inégalement) mises en valeur dans les journaux de programmes, qui présentent la grille hebdomadaire des programmes diffusés à la radio et à la télévision, en intégrant notamment des informations sur les participants ou les interprètes ainsi qu’un petit résumé de contenu. Dans La Semaine Radio Télé n° 523, l’émission est ainsi décrite : “Spectacle de variété de Jean Nohain, transmis d’un train en marche […] Sur le parcours Bruxelles-Lille-Paris, un train spécial de Noël sera “conduit” par Jean Nohain et son équipe. Des jeux et attractions seront présentés aux petits voyageurs qui auront eu le privilège de prendre place dans ce train avec quelques grands-pères de Bruxelles […] Une transmission directe sera assurée grâce à un équipement spécial”. Le Télérama n°5704 reprend et complète les informations du bulletin de presse de la RTF, nous livrant finalement assez peu d’information sur le fond de l’émission ; en revanche, le dispositif technique décrit dans le bulletin de presse de la RTF est largement repris et commenté : “Un équipement de reportage à quatre caméras sera installé dans le train Lille-Paris formé spécialement par la S.N.C.F. : ce convoi comprendra un véritable “wagon-studio”, et un wagon-terrasse vitré, attaché à l’arrière du train, permettant la transmission d’images du paysage. Un hélicoptère muni d’une caméra et d’un relais hertzien sera également utilisé.”’ Le résumé de l’émission est introduit par le rappel des deux essais antérieurs de réalisation à bord d’un train en marche : “en janvier 1959 à l’occasion de l’inauguration du téléphone sur la ligne Lille-Paris et en décembre 1959 pendant le voyage du Président Eisenhower”, deux essais au caractère historique et exceptionnel, mis sur le même plan que la réalisation de ce programme de Noël.

Télérama N°570, semaine du 18 au 24 décembre 1960.

Enfin, en sus de l’annonce de l’émission, qui nous renseigne sur le contenu éclectique de ce programme (orchestre, numéro de magie de Myr et Myroska, chansons…) Télé 7 jours5 consacre quant à lui un long article en double page à notre programme, ainsi qu’un petit encart au dispositif technique, là aussi mis en avant pour son caractère exceptionnel.

Télé 7 jours n°40, du 24 au 30 décembre 1960.

Télé 7 jours n°40, du 24 au 30 décembre 1960.

Par ailleurs, la programmation spéciale des fêtes est aussi annoncée par le média de diffusion lui-même. Ainsi, le magazine Il faut avoir vu6 animé par Jean Vertex propose de découvrir les programmes de la télévision de la semaine à travers des extraits d’émission, d’interviews de réalisateurs, d’acteurs, de chanteurs et de tournages. Dans l’émission du 19 décembre 19607, Jean Vertex s’entretient en plateau avec Paul Peyre, directeur des spectacles télévisés et Jean Kerchbron, réalisateur en charge de l’orchestration de tous les programmes de Noël. L’interview nous apprend que vingt heures de programmation supplémentaires “de qualité exceptionnelle” ont été fabriquées pour l’occasion. La chaîne a ainsi déployé de “grands moyens” de production pour proposer des émissions de divertissement susceptibles de plaire à un public familial, en mobilisant notamment 25 réalisateurs et 2500 à 3000 collaborateurs pour la seule journée du 24 décembre ! La speakerine Catherine Langeais présente ensuite Le Train de Noël, évoquant les moyens techniques déployés pour le tournage – illustrés par le circuit d’un petit train électrique dans une maquette -, et le contenu de l’émission émaillée de “distractions et de jeux”.

INA, Il faut avoir vu, 1ère chaine, émission du 19 décembre 1960, réalisateur : Jean-René Vivet, producteur et présentateur : Jean Vertex, CPF86648751.

Documenter la conception d’une émission : embarquement à bord !

D’autres sources consultables à l’INA nous fournissent de précieuses informations sur la production de l’émission, véritable prouesse technique dont le caractère exceptionnel est documenté par différentes typologies de documents. Tout d’abord, les émissions de la RTF ont fait régulièrement l’objet de reportages photographiques. La plupart des reportages, commandités par les services de presse, servaient à communiquer sur l’activité de la télévision et de la radio8 ; ils comportaient des portraits de personnalités, des clichés des tournages, des studios, et des coulisses des émissions. Aujourd’hui, ces reportages sont parfois les seules traces iconographiques de certaines émissions diffusées en direct, et peuvent être utilement mobilisés pour documenter la réalisation d’un programme, voire pour en reconstituer partiellement l’esthétique. Par chance, Le Train de Noël a fait l’objet de l’un de ces reportages photos, réalisé par le photographe Gérard Landau. Il est constitué de 58 photographies en noir et blanc, et comporte des clichés des participants, des installations techniques, du système de duplex par téléphone, ainsi que des spectacles dans les gares.

INA, Gérard Landau. Reportage photo sur Le Train de Noël du 1er décembre 1960 (date approximative), RPT0500023991.

Autre source précieuse : l’émission Au-delà de l’écran9 a consacré un reportage aux coulisses du tournage du Train de Noël. Ce magazine emblématique de la télévision des années 1960 proposait au téléspectateur des reportages sur la fabrique des émissions ; le présentateur Jean Nohain et son équipe y évoquaient chaque semaine des personnalités et des événements culturels mis en valeur par le média lors de la semaine précédente. Le reportage diffusé dans l’émission du 31 décembre 196010 met l’accent sur les moyens techniques exceptionnels mis en place pour la réalisation du Train de Noël. On y découvre des plans de la régie, installée dans un wagon du train en marche, du wagon panoramique utilisé pour réaliser des illustrations des paysages parcourus, ainsi que de l’équipe mobilisée (techniciens, cameramen, décorateurs, habilleuses et maquilleuses). Les répétitions des numéros, puis le tournage de l’émission orchestré par le réalisateur Alexandre Tarta, sont filmés par les caméras d’Au-delà de l’écran, permettant de reconstituer une partie de l’émission. Odette Laure, qui a participé à l’émission, est au commentaire.

INA. Au-delà de l’écran, 1ère chaine, émission du 31 décembre 1960, réalisateurs Dominique Rety, Jean-René Vivet, reportage commenté par Odette Laure, CPF86601910.

Garantir la bonne circulation d’une émission : autour de la diffusion

Enfin, comment documenter la diffusion d’une émission “disparue” ? Parmi les sources consultables à l’INA, les rapports de chefs de chaînes constituent des archives précieuses pour étudier les conditions de diffusion réelles d’un programme. Il s’agit de rapports quotidiens d’exploitation, qui rendent compte de la diffusion des programmes. On y retrouve les heures de diffusion (horaires prévus et effectifs), des informations concernant la diffusion (première diffusion ou bien rediffusion, changements de programme ou d’horaire de dernière minute), des informations concernant le générique, la mention de tous les inter programmes (plateaux des speakerines, publicités) ; les incidents techniques y sont également reportés. Ici, le rapport du chef de chaîne fait justement état de quelques aléas techniques (décrochages images dans la première partie de l’émission et problèmes de réception lors d’un duplex téléphonique). Il fait également office de conducteur, répertoriant la succession des programmes sur la journée d’antenne et l’alternance entre les deux émissions phare de l’après-midi, Le Train de Noël et Promenade fantasque, dont la diffusion est encadrée par les plateaux des speakerines.

INA. Rapport de chef de chaîne du 24/12/1960.

Terminus

Les multiples sources consultables à l’INA permettent de documenter et d’étudier Le Train de Noël, un programme de variétés original et innovant en même temps qu’une prouesse technique, qui, passé Noël 1960, aurait pu rester fantôme.
Les fêtes de fin d’année, c’est aussi bien sûr le réveillon du nouvel an, qui tient une place importante dans la grille de programmes. En cette année 1960, pour préparer la bascule vers 1961, la RTF a misé sur une “tranche horaire ” de 4 heures 30 intitulée Réveillon surprise12, organisée en 20 tableaux présentée par Pierre Cour avec le concours de Paul Giannoli. Elle comprend une revue de fin d’année, et plusieurs autres programmes : la création audiovisuelle On a tué Gilles13, le spectacle Raymond Devos à l’Alhambra14, ainsi que les émissions de divertissement Le Pays merveilleux15 et Pochettes surprise16. À l’inverse de notre Train de Noël, ces émissions ont été sauvegardées et partiellement indexées. Une autre recherche à entreprendre…

INA. Réveillon surprise, 1ère chaine, émission du 31 décembre 1960, réalisation Jean Manceau, présentateurs Pierre Cour et Paul Giannoli, CPF86654534.

Article rédigé par Christine Maertens, documentaliste multimédia à l’INA, et Elsa Marty, chargée de mission pour la valorisation scientifique des collections.

Notes

1 Procédé apparu en 1949, permettant l’enregistrement sur film (souvent du 16mm) d’un programme vidéo. Une caméra est placée devant un écran de télévision pour filmer le programme lors de sa diffusion en direct.

2 En 1960, il existe une seule chaine de télévision publique, gérée par la RTF (Radiodiffusion Télévision de France), et placé sous le contrôle du ministère de l’information. On dénombre alors 1 500 000 postes de télévision en France métropolitaine, les foyers s’équipant progressivement au rythme de l’augmentation de la couverture du territoire par les émetteurs relais qui diffusent les programmes.

3 La Semaine Radio Télé N°52, du 25 au 31 décembre 1960.

4 Télérama N°570, semaine du 18 au 24 décembre 1960.

5 Télé 7 jours n°40, du 24 au 30 décembre 1960.

6 Collection d’émissions diffusée du 17 octobre 1960 au 30 décembre 1964. Dans ce magazine, Jean Vertex propose de découvrir les programmes de télévision de la semaine à travers des extraits d’émissions, d’interviews de réalisateurs, d’acteurs, de chanteurs et des tournages qui nous montrent les coulisses de la télévision. https://catalogue.ina.fr/doc/TV-RADIO/DA_CPF99002372/il-faut-avoir-vu?rang=1

7 Il faut avoir vu, 1ère chaine, émission du 19 décembre 1960, réalisateur : Jean-René Vivet, producteur et présentateur : Jean Vertex, CPF86648751. https://catalogue.ina.fr/doc/TV-RADIO/DA_CPF86648751/il-faut-avoir-vu-emission-du-19-decembre-1960?rang=1

8 Des reportages à destination interne étaient également réalisés, avec des trombinoscopes des personnalités de la RTF, des clichés des installations techniques, des émetteurs, des décors…

9 Collection d’émissions diffusée du 30 octobre 1960 au 13 juillet 1968 produite par Denise Glaser, et présentée par Jean Nohain, André Leclerc, Pierre Sainderichin, Pierre-Louis ou Odette Laure, diffusée sur la première chaîne de l’ORTF. https://catalogue.ina.fr/doc/TV-RADIO/DA_CPF97103940/au-dela-de-l-ecran?rang=2

10 Au-delà de l’écran, 1ère chaine, émission du 31 décembre 1960, réalisateurs Dominique Rety, Jean-René Vivet, reportage commenté par Odette Laure, CPF86601910. https://catalogue.ina.fr/doc/TV-RADIO/DA_CPF86601910/au-dela-de-l-ecran-emission-du-31-decembre-1960?rang=1

11 Espace à la fois de programmation et de diffusion comportant plusieurs émissions successives, avec souvent des éléments de liaison spécifiques comme des plateaux, des annonces, un habillage. La tranche horaire est caractérisée par l’hétérogénéité des programmes diffusés, contrebalancée par une structuration forte du déroulement chronologique de ses contenus.

12 Réveillon surprise, 1ère chaîne, tranche horaire diffusée le  31 décembre 1960, réalisation de Jean Manceau. https://catalogue.ina.fr/doc/TV-RADIO/DA_CPF86654534/reveillon-surprise?rang=1

13 On a tué Gilles, 1ère chaîne, émission diffusée le 31 décembre 1960, réalisation de René Lucot. https://catalogue.ina.fr/doc/TV-RADIO/DA_CPF86654535/on-a-tue-gilles?rang=1

14 Raymond Devos à l’Alhambra, 1ère chaîne, retransmission diffusée le 31 décembre 1960, réalisation de Claude Fayard. https://catalogue.ina.fr/doc/TV-RADIO/DA_CPF14004975/raymond-devos-a-l-alhambra?rang=2

15 Le Pays merveilleux, 1ère chaîne, émission diffusée le 31 décembre 1960, réalisation de Jean Manceau. https://catalogue.ina.fr/doc/TV-RADIO/DA_CPF89003276/le-pays-merveilleux?rang=1

16 Pochettes surprise, 1ère chaîne, émission diffusée le 31 décembre 1960, réalisation de Bernard Roland. https://catalogue.ina.fr/doc/TV-RADIO/DA_CPF90012952/pochettes-surprise?rang=8


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Documentaliste Ina Theque (13 décembre 2024). Train de Noël : attention au départ ! Carnet de recherche de l'INAthèque. Consulté le 14 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12wye


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