À la découverte des archives télévisuelles dans le cadre d’un cours d’analyse sociologique des corpus audiovisuels
Article d’Aurélie Aubert, Professeure en Sciences de l’information et de la communication, Institut de la communication et des médias – Université Sorbonne Nouvelle
Ce témoignage propose un retour d’expérience sur l’intégration, dans une formation universitaire, d’une initiation à la fois à la recherche et à l’analyse de documents audiovisuels. Il rend compte de l’intérêt d’une démarche permettant aux étudiants de se familiariser, en un temps restreint, à de nombreuses problématiques centrales pour les sciences sociales et pourra certainement inspirer d’autres enseignants-chercheurs
Les jeunes ne regardent plus la télévision semblent dire les enquêtes. Et pourtant, cela n’empêche pas les étudiantes et étudiants de Licence 3 « information communication » de l’université Sorbonne Nouvelle à Paris de choisir dans leur cursus un cours méthodologique intitulé « Analyse sociologique des corpus audiovisuels » qui doit les aider à constituer et analyser un corpus d’émissions ou de reportages autour d’une problématique de nature sociologique.
En 2023 et en 2024, dans le cadre de ce cours, deux groupes d’environ 35 jeunes gens se sont donc rendus à l’INA thèque à plusieurs reprises pour se familiariser avec les archives télévisuelles et réunir un corpus de documents en vue de la réalisation de ce travail. Nous avons été accompagnés par Corinne Gauthier, responsable documentaire et des documentalistes pour cette expérience qui a été, pour beaucoup, une véritable découverte. Découverte, tout d’abord, des lieux car la fréquentation de la BnF, particulièrement en rez-de-jardin nécessitant une accréditation particulière, peut-être très intimidante pour des jeunes qui n’ont pas l’habitude de ces locaux prestigieux. La descente en rez-de-jardin jusqu’à la salle P (salle consacrée à l’audiovisuel) par les escalators au milieu d’un décor futuriste pensé à la fin du XXème siècle, époque à laquelle la plupart n’étaient pas encore nés, ne manque pas de susciter des commentaires mi élogieux, mi inquiets, lors de la première visite. Les jeunes gens découvrent donc que, à l’instar des livres, l’image, aussi, peut faire l’objet d’une conservation et d’une mise à disposition du public, grâce à la loi de 1992 sur le dépôt légal de la radio et de la télévision qui leur sera rappelée lors de la première séance. Il s’agit donc tout d’abord de comprendre les logiques de l’archivage, de la collecte, du classement et de la mise à disposition de ces collections.
Le but de l’exercice demandé est d’analyser quelques reportages ou émissions qui témoignent d’une évolution des représentations ou encore du traitement audiovisuel d’un sujet de société laissé à leur appréciation. Mais l’exercice sert aussi à leur faire prendre connaissance des différents genres qui composent ce patrimoine audiovisuel et à comprendre qu’il est compliqué de comparer une émission de divertissement avec un reportage de JT, ou encore que l’absence d’archive ne veut pas dire que le document recherché n’a jamais existé. Le cours a aussi pour but de les familiariser avec les modes de production des émissions de télévision.
Questionnements contemporains et constitution du corpus
Le choix des sujets et des problématiques est laissé libre et force est de constater que certaines thématiques sont immédiatement identifiées par beaucoup de groupes comme prioritaires pour cet exercice : l’évolution de la représentation des femmes à la télévision, ou celle du traitement des minorités visibles font partie des questionnements qui travaillent nombre d’étudiantes et étudiants avides d’analyser des stéréotypes souvent attribués à la télévision, bien qu’elle puisse aussi être en avance sur le traitement de certains sujets de société.
Mais le corpus ne se laisse pas si facilement appréhender et il faut d’abord comprendre comment l’interroger. Nos groupes ont donc fait la connaissance d’Hyperbase, l’application rassemblant les bases de données documentaires proposées pour les usages de recherche, et d’avoir accès aux notices rédigées avec grand soin par les documentalistes de l’INA dont ils et elles découvrent que le travail ne peut pas être exhaustif : les JT sont particulièrement bien documentés, quand les émissions de divertissement sur la TNT font l’objet de descriptions plus sommaires. Ces émissions sont pourtant fort intéressantes à examiner pour appréhender les changements dans le traitement de certaines questions de société par la télévision.
Il faut également se départir de certaines habitudes acquises sur les moteurs de recherche où il suffit de taper un mot que l’on a en tête pour se retrouver face à une liste de résultats que l’on ne cherche pas nécessairement à remettre en question. Face à Hyperbase, il n’est pas possible d’entrer le mot clef : « sexiste » pour que la recherche fasse remonter un document aujourd’hui jugé et analysé comme tel. Les étudiantes et étudiants mettent ainsi un peu de temps à comprendre qu’ils vont devoir appréhender le catalogue avec des termes précis et descriptifs figurant dans un thésaurus et que c’est en regardant des extraits à remettre en contexte qu’ils pourront juger ce qui aujourd’hui relève d’une misogynie invisibilisée dans les années 1970 ou 1980. Ne pas laisser l’interprétation d’un extrait à une machine est peut-être la première leçon et la plus utile de cet exercice.
Une fois Hyperbase dompté, les groupes – par deux ou trois – se lancent dans les recherches et le visionnage des extraits qu’ils sélectionnent avec soin. C’est aussi le moment de comprendre que le vaste sujet dont on avait rêvé va se révéler bien large à traiter : non il ne sera pas possible de faire une monographie sur le racisme à la télévision depuis le début des années 2000, en revanche effectuer une étude de quelques émissions de téléréalité sur une décennie, en choisissant un ou deux épisodes par an peut se révéler utile. De même, l’évolution de la représentation des femmes se révèle un sujet passionnant mais absolument intraitable dans le temps imparti. Sur ce point, le passage par la base de données des publicités télévisuelles de l’INA plutôt bien alimentée jusqu’aux années 2010, s’est révélé très pertinent pour beaucoup de groupes permettant ainsi de resserrer problématique et corpus.

L’évolution des représentations des femmes racisées dans les publicités pour produits capillaires (Violette Gerogiannis, Anna Houisse)

Les femmes dans la publicité automobile, 1980-2010 (Solyane Dupuy, Kelly Hu, Jade Naegele)

La représentation des femmes dans la télé réalité (Luiza Even, Eloïse Mathien)

Les femmes dans la publicité (Alicia Butterworth, Ilona Durand, Mina El Ouazani)
Analyse du corpus audiovisuel

La question des identités dans les dessins animés (Clara Guerrier, Amadine Pinatel, Ilyan Rehaz)
Une fois le corpus réuni, les étudiantes et étudiants appliquent des grilles de lecture variées analysant les termes employés, mais aussi les décors, les costumes ou tenues, les plans utilisés, et décomptant parfois les prises de parole des personnes présentes sur les plateaux selon des critères (classe, race, genre) nécessaires pour l’analyse.

Le traitement médiatique des femmes dans le sport (Jade Menabhi, Garance Renaudet)
Un travail de catégorisation des angles abordés dans des reportages télévisés sur les rappeurs depuis une dizaine d’années fait apparaître de façon inattendue des cadrages thématiques ambigus (50 sujets sur 104 contenant le mot « rap » dans un JT ces dix dernières années portent sur des violences et infractions).

Le traitement des rappeurs et des rappeuses dans les JT (Raphaël Féderici, Marius Hergibo-Dhuisme)
Un travail sur les genres de prédilection dans lesquels apparaissent les personnes noires ou d’origine maghrébine fait apparaître que les émissions humoristiques est un des rares genres audiovisuels à les mettre réellement en valeur dans les années 2000.

Le traitement des personnes racisées à la télévision (Camilia Ben-Hadj Mohamed, Inès Casimirius, Sefana Hamdane)
Si le racisme et la problématique du traitement du genre à la télévision viennent spontanément à l’esprit des étudiantes et étudiants de licence, d’autres questionnements les traversent qui ont trait à ce que l’on peut dire ou ne pas dire, selon les époques. Un travail sur l’humour au travers des choix d’émissions mises à l’antenne par Canal+ sur quatre décennies laisse bien entrevoir la reprise en main des dernières années et le poids du nouvel actionnaire.

L’humour sur la chaîne Canal+ depuis 1984 (Raphaëlle Keller, Thalie Retailleau)
Passer par une personnalité médiatique et analyser la manière dont les journalistes commentent ses faits et gestes, son image, ses exploits permet aussi de comprendre les évolutions de perception d’une société française aux prises avec des controverses et des polémiques récurrentes. Kylian MBappé passe ainsi du statut de jeune joueur prometteur à celui d’une icône sportive à qui l’on ne pardonne plus erreurs et défaillances. Aya Nakamura, elle, ne fait pas l’économie d’une polémique à caractère identitaire bien qu’elle ait brillamment représenté la France lors de la cérémonie d’ouverture des JO en 2024.

La controverse sur Aya Nakamura pendant les JO 2024 (Oonagh Gandillon-Knight, Gabrielle Tisna)

Le traitement médiatique d’une star : le cas de Kylian Mbappé (Roméo Foussat, Seif Maussang)
Enfin, certains groupes choisissent de montrer comment la chose politique se dit à l’écran au travers de quelques événements ou personnalités particulières. En 2024, c’est l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale traitée par les chaînes d’information en continu qui met en évidence un discours plus ou moins critique de la part d’éditorialistes présents sur ces chaînes. Un autre travail s’intéressant au traitement des trois campagnes électorales de Donald Trump a bien montré que le personnage de bouffon, outsider peu pris au sérieux par les journalistes français en 2016 avait laissé place à des discours bien plus inquiets de la part des journalistes français en 2020.

Les couvertures des campagnes électorales de Donald Trump (Aïssatou Ba, Zoé Fouchet, Faustine Perret)

La couverture de la dissolution de l’Assemblée nationale sur les chaînes d’information en continu (Ella Boussetta, Roméo Boisselle)
Conclusion
À l’issue de ce voyage dans les archives, les étudiantes et étudiants de la Sorbonne Nouvelle ont assurément pris conscience de la richesse du patrimoine audiovisuel français et de l’intérêt d’utiliser les représentations télévisuelles pour analyser la société. Les passerelles avec les contenus aujourd’hui accessibles sur les plateformes ou sur YouTube, des liens avec leurs propres consommations médiatiques des années 2020 auront aussi pu être effectués. Quelques vocations de recherche auront enfin peut-être pris forme lors de ces séances très riches pendant lesquelles nous avons été particulièrement bien accompagnés par le personnel du centre de consultation de l’INA.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
corinne gauthier (27 février 2025). À la découverte des archives télévisuelles dans le cadre d’un cours d’analyse sociologique des corpus audiovisuels. Carnet de recherche de l'INAthèque. Consulté le 19 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13huu